Le mystérieux Potez 25 des Thaïlandais et l’aventure de Robert Barbier

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Le mystérieux Potez 25 des Thaïlandais et l’aventure de Robert Barbier

Le Potez 25 no8 de l’escadrille 1/42. (Musée de la RTAF )

Une guerre non-déclarée :

Si en règle générale, et bien tristement d’ailleurs, il y a toujours, au terme d’un conflit armé, un vainqueur et un vaincu, ce ne semble pourtant pas être le cas dans cette guerre jamais déclarée entre la Thaïlande et l’Indochine française qui dura depuis octobre 1940 jusqu’à janvier 1941.

Les combats furent intenses et sanglants. Les pertes nombreuses, bien que là encore minimisées par les deux camps.

Tout commença par des escarmouches où l’on se provoquait depuis chaque rive du Mékong : les Thaïlandais sur la rive droite, les Français sur la rive gauche. Signalons d’ailleurs dans ces troupes françaises, la présence du lieutenant Pierre Boulle, qui y prit part avec son peloton de quatre auto-mitrailleuses, un peu obsolètes.

Les auto-mitrailleuses de Pierre Boulle à Savannakhet.
(Indochine Hebdomadaire Illustré, no 30, 27 mars 1941).

Puis ce fut l’escalade, avec l’intervention des forces aériennes : les avions thaïlandais attaquaient les objectifs terrestres de jour, l’aviation française, dont les matériels étaient assez anciens, bombardait de nuit les aérodromes siamois.

Après trois mois de ces opérations limitées, les Siamois sortirent leurs griffes et regroupèrent leurs forces en un assaut terrestre contre le Cambodge, à partir du 9 janvier 1941 dans la région de Poïpet. Les troupes françaises résistent et même lancent le 15 janvier une contre-offensive plus au nord, près du village khmer de Yang Dang Kum. Les forces thaïlandaises répliquent par une contre-attaque surprise plus au sud, vers Pum Preav. Malgré la présence des forces aguerries du 5ème REI, les troupes françaises sont culbutées et doivent se replier vers une ligne de défense plus à l’est à la hauteur de Sisophon, pour mettre en place la défense de la route qui mène à Phnom Penh.

Mort du lieutenant de Cros Péronard du 5ème REI, face aux blindés thaïlandais.
(dessin de Louis Rollet. Gal Marchand, L’Indochine en guerre, p. 56).

L’armée thaïlandaise ne poursuivra cependant pas son avantage et se contentera de cette victoire qui coûtera à l’armée française au total, 98 tués, 162 blessés et 61 disparus (Hesse d’Alzon, p.98).

Et c’est exactement à la même date, le 16 janvier, que cette fois-ci la victoire reviendra à la France, lorsque la force navale du futur amiral Régis Béranger attaquera un détachement de la marine thaïlandaise au mouillage à Koh Chang, et y coulera entre trois et cinq navires, là encore un chiffre difficile à vérifier, les intéressés et historiens des deux Marines, n’étant pas d’accord sur la réalité des pertes.

La Marine thaïlandaise reconnaîtra le chiffre de 32 marins tués, tandis que la flotte française rejoindra sa base de Saïgon sans aucun dégât.

Sans contestation possible, cette fois-ci la victoire est à la France.

Le site de la bataille navale au sud de l’île de Koh Chang. (auteur).

Défaite et victoire :

C’est donc à la suite de ces deux tragiques évènements, survenus presque à la même date, que vont entrer en jeu les services de propagande des deux pays. A cette époque trouble, où il fallait rassembler ses populations autour de son drapeau, de ses valeurs et d’un nationalisme exacerbé, la Thaïlande et l’Indochine vont faire assaut de ce qu’on appellerait aujourd’hui des ‘fake-news’, ou comment mettre en avant ses succès, tout en minorant ou en cachant ses propres revers.

La Royale, sera heureuse de faire visiter à la presse internationale et aux militaires japonais, à Saïgon, son navire amiral, le Lamotte-Piquet, pour bien leur montrer qu’il était toujours là, contrairement à ce que prétendaient les médias thaïs qui l’avaient annoncé coulé, et qu’il était revenu du combat sans aucune avarie où dommage.

Le croiseur Lamotte-Piquet.

Remise de la croix d’officier de la Légion d’honneur au contre amiral Béranger
par l’amiral Decoux, sur le pont du Lamotte-Piquet après son retour de Koh Chang.
(Indochine Hebdomadaire Illustré).

De leur côté, les Thaïlandais eux aussi, forts de leur victoire terrestre, voulurent montrer à leur population et à la presse internationale les preuves de leurs succès.

Ils réunirent donc, sur l’esplanade populaire de Suan Amphorn, à Bangkok, les dépouilles de l’armée française saisies au cours des divers combats de janvier.

Et c’est à côté de nombreuses armes individuelles, que les Thaïlandais purent admirer avec fierté 5 chenillettes Renault, saisies sur le front cambodgien, et un avion français.

Les chenillettes Renault et le Potez 25 no8, prises de guerre thaïlandaises. (Musée de la RTAF).

L’avion, un Potez 25A2, est donc ce mystérieux appareil, ‘capturé dans des circonstances inconnues’ (Ehrengardt, p. 92), que l’on retrouve sur des photos d’époque, et dont nous avons essayé de retracer l’histoire.

Pour les Thaïlandais, cet appareil a été saisi par leurs forces armées. Sur chaque côté du fuselage, a été portée la mention : ‘a été saisi à Songkhla’.

La véritable histoire du Potez 25 :
L’aventure de Robert Barbier

Mais cette prise de guerre, en réalité, n’en fut pas une ; c‘est dans leur ouvrage magistral que MM. Cony et Ledet, aux pages 355-356, vont nous révéler sa véritable histoire.

Tout commence en septembre 1939, en Malaisie. Les jeunes Français qui travaillent sur les plantations d’hévéas sont mobilisés par les soins du Consul de Singapour. Mais ce n’est qu’en novembre suivant que deux des plus jeunes de cette petite population sont appelés en Indochine, point de ralliement de tous les Français résidant en Asie orientale. Ces deux jeunes planteurs sont Pierre Boulle et Robert Barbier.

Robert Barbier (Musée de la RTAF).

Pierre Boulle en Malaisie
(‘My own River Kwai’, N.Y. 1967).

Si l’épopée courageuse et à peine croyable de Pierre Boulle est bien connue par son livre ‘Aux sources de la Rivière Kwaï’, par contre l’histoire de son compagnon, qui n’est pas moins incroyable, l’est beaucoup moins.

Dès leur arrivée à Saïgon, le conseil leur est donné de me pas faire trop de zèle, la métropole et le front européen se trouvant bien trop éloignés pour qu’ils puissent y être envoyés. C’est vers la fin décembre, qu’ils apprennent leurs affectations : Boulle est affecté au 2ème Régiment d’Infanterie Coloniale. Il rejoindra Mytho, puis l’Annam et enfin la frontière thaïlandaise le long du Mékong, à côté de Savannakhet, comme nous l’avons vu ci-dessus.

Robert Barbier, lui, est envoyé dans un régiment de tirailleurs annamites à Thu-Dau-Mot.
Il va y rester quelques temps, puis passera stagiaire dans l’Armée de l’Air. Mais il n’a pas oublié son souhait d’aller se battre en Europe contre l’ennemi de son pays. L’évolution politique de l’Indochine française sous l’amiral Decoux ne correspond pas à ses idées. Il est Gaulliste et refuse de se rallier aux Vichystes. Pourtant il sait que depuis septembre 1940, tout Français qui quitte le territoire national pour un territoire étranger est automatiquement déchu de sa nationalité et ses biens mis sous séquestre.

Malgré cela, les évènements de janvier 1941, les combats contre les troupes siamoises et les incertitudes devant l’ingérence japonaise dans les affaires de la Colonie, vont le décider à tenter un coup d’éclat : s’emparer d’un des vieux Potez 25 qu’il a appris à piloter, et s’enfuir de l’Indochine par les airs, pour rejoindre les forces britanniques dans cette Malaisie qu’il connaît bien.

Hélas, le sort sera contre lui. Des vents violents, une navigation difficile au dessus du golfe de Siam, vont l’obliger à se poser sans doute à court d’essence à Songkhla, dans le sud de l’isthme thaïlandais. Pas de chance, car la Malaisie n’était plus qu’à moins d’une centaine de kilomètres…

A son arrivée à l’aérodrome de Songkhla, il est arrêté par les militaires thaïlandais et son avion est saisi. Ils seront ensuite acheminés tous les deux vers Bangkok.
Comme avec nos autres compatriotes capturés sur le front cambodgien, les Thaïlandais ne seront pas tendres avec leurs prisonniers. Et l’on a écrit (Ehrengardt, p.23) que Barbier sera emprisonné dans une cage, ‘enfermé nu dans une cage en bambou, il est promené de ville en ville et exposé aux insultes et projectiles de la populace‘ Nous n’avons cependant pas de confirmation des conditions de sa séquestration.

Pour l’amiral Decoux, tout militaire qui quitte le territoire de l’Indochine est considéré comme un traître ; il s’agit à ses yeux d’une trahison impardonnable. Barbier est condamné à 20 ans de prison par contumace par la justice indochinoise de l’époque. De plus, l’amiral refusera de demander aux Thaïlandais de le renvoyer vers l’Indochine, alors que les militaires français faits prisonniers pendant les évènements de la frontière, seront libérés et expédiés vers Saïgon.

Et ce n’est finalement que grâce à l’intervention des Anglais auprès du gouvernement thaïlandais, que le pauvre Barbier sera libéré et envoyé à Singapour d’où il rejoindra enfin les rangs des Forces Françaises Libres à Londres.

Une suite de carrière chaotique :

Robert Barbier est né le 02 juillet 1914 à Raffetot (Seine Maritime). Il nous a été très difficile d’essayer de retrouver son histoire à travers de bien rares archives. Pratiquement rien n’existe qui aurait pu nous livrer un peu de sa vie, et seuls, malgré leur sècheresse, les Etats de Service qui retracent sa vie militaire nous ont ont permis de retrouver un peu de son parcours exceptionnel.

De la classe 1934, il est incorporé au 24è R.I. en 1935. Après son peloton des Elèves Officiers, il passe sous-lieutenant de réserve dès 1936.

Mis en disponibilité à la fin de 1937, il part en Malaisie pour rejoindre les immenses plantations d’hévéas qui couvrent le nord du pays et où les jeunes ingénieurs européens étaient les bienvenus.

C’est là qu’il rencontrera Pierre Boulle.

Dès 1939, nous l’avons vu, il rejoint le dépôt des Tirailleurs Annamites. En août 1940, il est détaché auprès de l’aviation militaire à Bien Hoa, où il obtient son brevet de pilote.
C’est alors l’évasion spectaculaire de l’Indochine vichyste vers Singapour. Les Anglais organiseront son retour vers Londres, où Barbier s’engage en août 1941 dans les FFL.
Après deux stages sur des bases anglaises, puis l’Etat major à Londres, il rejoint le Moyen Orient et le groupe Picardie. Il reprend des cours de pilotage et d’observateur sur les bases de Mezzeh (Syrie) et Rayak (Liban).

En 1943, nous retrouvons notre aviateur dans une escadrille de surveillance des côtes de l’Afrique Occidentale Française du groupe Artois, à Pointe Noire et Douala.

Après un passage à la base de Meknès (Maroc), en mars 1945 il rejoint le Groupe de Chasse 2/7 pour la campagne de France en Alsace puis en Allemagne occupée. Il est démobilisé en septembre 1945 et va pouvoir se marier à Paris en novembre 1950. La même année, nous le retrouvons à Madagascar, où il dirige la succursale des Potasses d’Alsace.

Hélas, il faut croire que cette extraordinaire aventure ne sera pas bien récompensée. Un dossier daté de 1989 le présente comme essayant de faire reconnaître ses droits à son dossier d’Aviateur de la France Libre (FAFL). Il semble bien que l’administration française aura du mal à le reconnaître, ne considérant son statut que comme Tirailleur détaché à l’Aviation.

L’attestation de l’enregistrement de Robert Barbier au registre des FFL.

Il vit à partir de 1963 à Mulhouse, mais c’est bien tristement que nous ne trouverons plus rien d’autre que la date de son décès, le 09 juillet 1999. Il avait 85 ans.

Une existence courageuse bien mal reconnue !

Les évasions de Français qui quitteront l’Indochine vichyste pour rejoindre le général de Gaulle ne seront pas très nombreuses. L’obstacle de la distance vers la Métropole et l’arrêt
des liaisons maritimes régulières, rendaient presque impossible toute tentative.

Pourtant, certains eurent le courage d’essayer.

Dans un prochain numéro, nous présenterons quelques aviateurs qui, en osant affronter tous les dangers d’une aventure souvent désespérée, ont voulu sauver leur honneur et tenté ‘la belle’ malgré les menaces de la cour martiale et des condamnations à mort de l’Amiral Decoux.

Avec nos remerciements au Air Chief Marchal Sakpinit Promthep, directeur du superbe Musée de l’Air Thaïlandais de Bangkok, pour son aide dans nos recherches, et au Docteur Serge Franzini, infatigable généalogiste parisien.

Quelques avions et image de l’époque des combats avec l’Indochine au RTAF Museum.

Bibliographie :

– BOULLE Pierre : ‘Aux sources de la Rivière Kwaï’. Paris, Julliard, 1966.
‘ My own River Kwai’. New York,Vanguard Press, 1967.

– Commandement de la Légion Etrangère : ‘5ème Etranger. Historique du régiment du Tonkin.
Tome I : Indochine 1883-1946.Le combat de PhumPreav. Panazol, CharlesLavauzelle, 2000.

– CONY Christophe / LEDET Michel : ‘L’aviation français en Indochine des origines à 1945’. Coll. Histoire de l’Aviation no 21. Outreau, Lela Presse, 2012.

– EHRENGARDT Christian-Jacques / SHORES Christopher : ‘L’aviation de Vichy au combat. Tome I : les campagnes oubliées. 3 juillet 1940-27 novembre 1942’.
Paris, Charles-Lavauzelle, 1985.

– EHRENGARDT Christian-Jacques : ‘Ciel de feu en Indochine. 1939-1945’. (article).
Aéro-Journal, no 29. Février-mars 2003.

– HESSE d’ALZON Claude : ‘La présence militaire française en Indochine. (1940-1945)’.
Vincennes, S.H.A.T., 1985.

– LEGRAND J.  Col. : ‘L’Indochine à l’heure japonaise’.
Cannes, 1963.

– MARCHAND Jean Général : ‘L’Indochine en Guerre’.
Paris, Les Presses Modernes, 1954.

– POUJADE René : ‘Cours martiales. Indochine 1940-1945. Les évasions de résistants
dans l’Indochine occupée par les Japonais’. Paris, La Bruyère, 1997.

– VERNEY Sébastien : ‘L’Indochine sous Vichy. Entre Révolution nationale, collaboration et identités nationales. 1940-1945’ Paris, Riveneuve, 2012.

A NOUS LE SOUVENIR                A EUX L’IMMORTALITÉ

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