MARCEL GAULTIER

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    2034

    Littérature

    Les écrivains de l’Indochine / No 115 :
    MARCEL GAULTIER
    (1900- 1960)

        Ah ! monsieur Gaultier, comme nous souhaitons que vos romans ne soient pas autobiographiques ! Vos héros et vos héroïnes semblent ne jamais pouvoir trouver un bonheur à deux..
        Marcel Gaultier est arrivé en Indochine comme jeune fonctionnaire dans le milieu des années 20. Nommé rédacteur aux Services Civils, ils trouvera le temps d’écrire trois livres historiques sur les destinés des souverains de Hué, ‘Gia Long’, ‘Minh Mang’ et ‘Ham Nghi, le roi proscrit’.
        Son premier roman, ‘Le Mur’, va paraître en 1937 à Paris, et le second, ‘La Messagère’, à Hanoï en 1943. Deux nouveaux livres historiques suivront, ‘La Tragédie Indochinoise’, en 1947, et ‘Prisons Japonaises’ en 1950, précieux témoignage sur Dalat et l’Indochine au lendemain du coup de force japonais de mars 1945.
        Nous retrouverons Marcel Gaultier la même année en 1950 à Saint-Denis de la Réunion, où il est directeur des Affaires Economiques. Il y rédigera un beau livre à la gloire de l’île qui l’a accueilli, ‘Périple de Bourbon’ paru en 1954 à Paris.
        Le premier roman, ‘Le Mur‘ se compose de deux histoires : la première, tragique, c’est l’histoire d’une rupture. Le livre s’ouvre sur le pathétique voyage du héros, Pierre Garnier, parti en voiture depuis Saïgon vers le Cap Saint-Jacques pour y surprendre l’adultère de Claude, son épouse.
         Commence pour Pierre le calvaire de voir cette femme qu’il aime, le quitter pour un autre. Les supplications, les lettres enflammées, et même le retour de l’épouse volage au domicile conjugal, rien n’y fera.
    C’est là que les deux anciens amants se heurteront à ce mur infranchissable qui s’est désormais dressé entre eux, construit

    jour après jour de leurs silences, de leurs égoïsmes et de leurs incompréhensions…
        Pour Pierre, ne restent que la solitude, les regrets, et l’oubli que procure la fée brune…
        Heureusement, le devoir l’appelle : convoqué par son chef, un matin, au palais du gouverneur, il apprend avec stupeur que son vieil ami, l’administrateur Jacques Bérard, vient d’être assassiné par des montagnards, là-haut, dans la forêt, à côté de son poste de Nui-Ta. Et le patron lui demande d’aller là bas et d’essayer d’en savoir plus sur cette vilaine histoire.
        C’est certainement cette deuxième histoire qui donne au roman son intérêt principal.
    D’abord la découverte du poste où tout avait été laissé intact :‘les stores baissés, sur la véranda un guéridon encore encombré des reliefs de la collation matinale, des livres, des
    feuillets couverts d’une écriture serrée, et puis au milieu, un portrait de femme, terni par l’humidité forestière’…
        Pierre prend la photo entre ses mains et songe aux heures d’inexorable solitude de Bérard, qui ne connaissait pas ‘la caresse d’un doigt de femme sur sa tempe’…
        Et c’est en ramenant le corps de son ami, transpercé de coups de lances, sur un mauvais  brancard de bambous et de feuilles sèches, qu’il repensait à tous ces bons moments partagés avec Bérard, lorsqu’ils partaient chasser le fauve dans cette même région.

     

    Il se rappelait leurs retours dans la nuit, les coolies qui portaient les bêtes inanimées, et les femmes qui accouraient en criant et agitant des torches dont les lueurs hésitantes éclaboussaient de reflets d’or leurs seins nus…
        Pierre repense à ces retours aux origines, ‘parmi ces populations primitives qui se défendent contre l’envahissement de la civilisation par la brutale fraîcheur de leur barbarie’…
        Alors quel bonheur était-ce pour lui, que loin de sa vie de fonctionnaire à Saïgon, il pouvait ‘se reposer parmi les simples, de la triste fatigue d’être semblable à tant d’autres hommes, esclaves des forces qu’ils ont créées et de tous ceux qui les entourent’…
        Vivre cette vie sauvage, n’était ce pas là encore, franchir un nouveau mur qui l’enfermait dans une triste existence quotidienne ?
        Le deuxième roman, ‘La Messagère’, est là encore, l’histoire d’abord éblouissante de la rencontre du héros, Michel Montalent, avec une femme belle et mystérieuse, Dominique Beyssière, à bord du paquebot qui les mène vers l’Asie. Mais cette belle histoire va tourner au désastre une fois qu’ils se seront installés dans le sud d’une Chine sauvage en proie aux horreurs de sanglantes guerres civiles et des troubles fomentés par la violence d’un communisme naissant. Malgré la force de son amour pour Michel, Dominique est incapable de s’abandonner avec simplicité à son amant. Une force mystérieuse la retient, des êtres menaçants tournent autour d’elle; elle semble hantée par les fantômes d’une vie antérieure…
        Et quand enfin le voile du mystère se lèvera, les amants, demeurés étrangers l’un pour l’autre, se sépareront pour toujours …

     

    François Doré.
    Librairie du Siam et des Colonies.